Quelles sont les règles spécifiques et les risques du bail dérogatoire ?
En immobilier d’entreprise, les parties qui remplissent les conditions relatives au statut des baux commerciaux peuvent décider de déroger volontairement au statut et de conclure un bail dérogatoire. Il s’agit d’un « bail à l’essai » devant déboucher sur un bail commercial statutaire. Il permet au bailleur de ne pas s’engager à long terme avec un nouveau locataire ; à l’inverse, il permet au locataire de tester la pertinence de son emplacement et la pérennité de son activité.
Attention : parfois appelé à tort « bail précaire », il ne doit pas être confondu avec la « convention d’occupation précaire » qui est une alternative s’offrant aux parties lorsque l’occupation des lieux dépend de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties et quelle qu’en soit sa durée (C. com. art. L 145-5-1).
Un bail dérogatoire est par principe conclu pour une période à courte durée. Depuis la loi Pinel de 2014, les parties peuvent lors de l’entrée dans les lieux du locataire déroger aux dispositions du statut à condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne dépasse pas 3 ans (C. com. art. L 145-5, al. 1). Le point de départ du bail est « l’entrée du locataire dans les lieux ».
Le locataire doit porter une attention particulière à la clause relative à la fin du bail : aucune prolongation tacite ne doit être prévue, faute de quoi le bail pourra se transformer en bail statutaire (soumis au statut des baux commerciaux).
Attention : la fixation entre les parties d’un bail avec une durée inférieure à la durée légale minimale statutaire (9 ans) ne suffit pas à caractériser un bail dérogatoire (Cass. 3e civ. 2-2-2005 n° 135 F-PB : RJDA 5/05 n° 511). La volonté de conclure un bail dérogatoire ne se présume pas : elle doit être claire et non équivoque. Il est donc d’usage et recommandé au locataire qui souhaite renoncer au statut d’insérer dans le bail une clause spécifique écartant l’application du statut et de faire mention de l’article L.145-5-1 du Code de Commerce (relatif au bail dérogatoire). Au-delà de la durée maximale des 3 ans, la renonciation du locataire à l’application du statut est sans effet.
Par ailleurs, le bail dérogatoire n’échappe pas à la règle de l’état des lieux rendu obligatoire par la loi Pinel. Il est donc dans l’intérêt du locataire de demander un état des lieux par voie de commissaire de justice dès son entrée dans les lieux et à sa sortie, afin de se prémunir contre d’éventuels dommages liés à la vétusté du local ou aux dégradations causées par le locataire précédent.
Le bail dérogatoire déroge au statut des baux commerciaux. Il s’agit d’un bail à durée déterminée, soumis aux règles de droit commun (C. civ. art. 1737). A l’inverse du bail commercial qui se prolonge tacitement à l’arrivée de son terme, le bail dérogatoire quant à lui cesse de plein droit à l’arrivée du terme, sans qu’il soit nécessaire de donner congé (Cass. 3e civ. 15-3-1972 n° 71-10.482 : Bull. civ. III n° 182) et le locataire ne bénéficie donc pas du droit au renouvellement de son bail car celui-ci déroge au statut des baux commerciaux.
Attention : si le locataire reste et est laissé en possession des lieux un mois après l’expiration du bail dérogatoire, en l’absence de réaction du bailleur il s’opère un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux (C. com. art. L 145-5, al. 2). Cette règle s’applique même si le bail dérogatoire a été conclu pour une durée inférieure à la durée maximale de 3 ans (Cass. 3e civ. 8-6-2017 n° 16-24.045). Il n’y a donc pas de tacite prolongation du bail dérogatoire possible.
Le nouveau bail statutaire issu du maintien du locataire dans les lieux est soumis aux mêmes clauses et conditions que le bail dérogatoire expiré et le loyer est librement fixé entre les parties. Si celles-ci ne parviennent pas à s’entendre sur son montant, le loyer doit correspondre à la valeur locative (C. com. art. L 145-33).
Pour éviter la naissance d’un nouveau bail statutaire, le bailleur doit donc faire connaître au locataire sa volonté de mettre fin à l’occupation des lieux par acte extrajudiciaire, au plus tard un mois après l’échéance du bail. De son côté, le locataire dispose d’un délai d’un mois à compter de l’échéance pour quitter volontairement les lieux, sous peine d’être soumis au statut. Il est dans son intérêt de ne pas se maintenir dans les lieux car les dispositions du statut auxquelles il serait soumis lui sont plus contraignantes qu’au bailleur.
Une simple clause du bail prévoyant que le bail dérogatoire se finirait de plein droit à l’expiration du bail est insuffisante (Cass. 3e civ. 4-5-2010 n° 09-11.840).
En pratique, lorsque le premier bail dérogatoire arrive à son terme, deux situations sont possibles :
- Les parties peuvent convenir de poursuivre la durée du bail dérogatoire :
Si la durée totale des baux successifs est inférieure à 3 ans, les parties peuvent conclure un nouveau bail dérogatoire pour la durée résiduelle. Cependant, si la durée totale maximale de 3 ans est atteinte, alors les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogatoire pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux (C. com. art. L 145-5, al. 1). Le locataire est donc contraint de quitter le local, d’exploiter un nouveau fonds ou bien de conclure un bail statutaire. Attention : peu importe la durée, si le locataire se maintient dans les lieux, un nouveau bail statutaire est automatiquement formé 1 mois après l’expiration du bail dérogatoire. - Les parties peuvent convenir de ne pas renouveler le bail dérogatoire et de mettre fin à leurs engagements contractuels :
En effet, l’article 1737 du Code Civil précise que le bail cesse de plein droit à l’expiration du terme fixé, sans qu’il soit nécessaire de donner congé. Mais il est très fortement conseillé au locataire de notifier son départ, afin d’éviter qu’il lui soit reproché de se maintenir dans les lieux à l’expiration de son bail dérogatoire et ainsi d’éviter la formation automatique d’un bail statutaire le contraignant.
Au total, le bail dérogatoire présente l’avantage de répondre à un besoin de flexibilité dans la vie des entreprises, mais il ne faut pas le confondre avec la convention d’occupation précaire et se souvenir que son usage est risqué car rester dans les locaux à son expiration le transforme en bail commercial.
Recommandation : consultez votre avocat ou votre notaire qui vous assistera dans la rédaction et la gestion de votre bail commercial.